Marcel Communeau, le précurseur

| Publié le par Alex
Crédit photo : Tribune Beauvaisienn

Capitaine emblématique de l'équipe de France de rugby du début du XXème siècle et troisième ligne avant-gardiste dans un sport extrêmement conservateur, le beauvaisien Marcel Communeau fut l'artisan d'une victoire historique contre l'Ecosse un jour de 2 janvier 1906 avant d'être décoré pour "conduite exceptionnelle" durant la première Guerre Mondiale. Retour sur le parcours d'un des pionniers du rugby français.

 Un joueur d’instinct vite intégré au haut niveau


“L’équipe de France a été remarquablement forte, et, quoiqu’elle ne fût pas en mesure de battre la combinaison néo-zélandaise, elle a obtenu plus de points contre les coloniaux que n’importe quelle autre équipe en Grande-Bretagne et en Irlande, excepté celle de Cardiff."

C’est par ces quelques phrases élogieuses que la Westminster Gazette, journal basé à Londres avait alors qualifié la première rencontre historique entre la France et la Nouvelle-Zélande, le 1er janvier 1906 au Parc des Princes. Malgré un score lourd (8-38) en faveur des invincibles All Blacks, la France avait opposé une belle résistance dans une partie disputée sous une pluie et un froid glacials.

Ce match, resté dans l’histoire du XV de France, marquait également les débuts d’un jeune troisième ligne âgé de 20 ans : Marcel Communeau.

Né à Beauvais le 11 septembre 1885 Communeau s’installe très vite parmi les joueurs majeurs du XV de France de l’époque. Il sera d’ailleurs quelques années plus tard le premier joueur à atteindre le cap des 20 sélections sous le maillot tricolore et le plus capé de l’Equipe de France avant-guerre.

Mieux, le beauvaisien est un pionnier de l’ovalie en France. Il est le premier joueur à avoir voulu intégrer le jeu des avants dans un rugby basique réservé à la chevauchée des arrières quand leurs coéquipiers des premières lignes restaient cantonnés aux tâches ingrates.

"Un jour, par chance je fus amené à remplacer un titulaire de l’équipe de Paris contre le Comté de Kent, alors que je jouais dans la seconde équipe du Stade Français" racontera Marcel Communeau "J’eus le bonheur de me détacher de la mêlée et après avoir redoublé toute la ligne de trois-quarts, je marquai un essai en coin. Cela me valut de jouer dans l’équipe de France"

Ces initiatives novatrices dans un rugby extrêmement codé et élémentaire ne sont pas du goût de son capitaine et entraîneur de l’époque au Stade Français, Jack Muir, qui le relègue en équipe réserve.


 Un leader historique du XV de France


Phénomène rare, il ne joue donc même pas au sein de la première division du championnat français lorsqu’il est appelé chez les bleus le 1er janvier 1906. Très vite pourtant, il devient un pilier de la sélection. De 1906 à 1913, il participe à 21 matches et devient très rapidement le capitaine des Bleus. Surtout, Marcel Communeau devient en 1910 le premier capitaine du XV de France dans l’histoire du Tournoi des V Nations, la France venant d’y être tout juste intégré. Pour son premier match dans l'histoire du tournoi, les bleus sont balayés 27-0 par l'Ecosse le 2 janvier 1910.


L’année suivante, les rugbymen français réalisent un exploit retentissant contre ces mêmes écossais. Dans un rugby du début du XXème siècle quasi exclusivement réservé aux équipes anglo-saxonnes, la victoire des français le 2 janvier 1911 contre le XV du chardon (surnom de l’équipe écossaise) résonne comme un coup de tonnerre dans le landerneau rugbystique.  A Colombes, les joueurs tricolores s’imposent 16-15 sous une pluie battante et prennent leur revanche sur des écossais qui les avaient sèchement battus l'année précédente.

Précurseur et leader dans beaucoup de domaines, Marcel Communeau propose à l’issue de cette victoire historique d’arborer l'emblème du coq gaulois sur le maillot des rugbymen français. La demande de Communeau est acceptée le 21 janvier 1911 par l'USFSA (Union des sociétés françaises des sports athlétiques), l'ancêtre de la Fédération Française de Rugby.


L’année suivante, Marcel Communeau quitte le Stade Français avec qui il avait été champion de France en 1908 pour rejoindre sa ville natale dans les rangs du Véloce Club Beauvaisien. Cette parenthèse est de courte durée et il retourne finalement au Stade Français en 1913, année où il jouera son dernier match en bleu contre le Pays de Galles à l'occasion de sa 28ème sélection.


"Communeau aurait été un grand joueur à toutes les époques"


Joueur « fantasque » pour son époque, Communeau était peut-être l'un des précurseurs et premiers garants du french flair, ce jeu à la française ,souvent jalousé par les anglo-saxons, fait de mouvements offensifs risqués et de relances audacieuses depuis ses 22 mètres. Par son style et ses initiatives, le joueur beauvaisien semblait en tout cas diviser bon nombre d’observateurs.

Il eut toutefois la reconnaissance de nombre de ses équipiers qui le considéraient comme un excellent porte-parole et un joueur fair-play, en somme un parfait leader d'équipe. Il semblait être également un troisième ligne en avance sur son temps, capable de briser les codes et de dépoussiérer un sport à l’époque lisse et conventionnel. Emile Lesieur, l’un de ceux qui l’a côtoyé en Equipe de France dira notamment de lui: "Un type comme Communeau, l’un des premiers capitaines de l’équipe, major de Centrale, aurait été un grand joueur à toutes les époques."


Guerre, manufacture et Hall of Fame


Grand, Marcel Communeau l’aura également été durant la Première Guerre Mondiale. Le 2 août 1914 à la veille de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, il s’engage dans l’aviation en tant qu’observateur. Blessé en 1915, il refuse d’être rapatrié et retourne au front. Son abnégation et son courage lui vaudront la Croix de Guerre en 1918. Il sera également décoré de la Légion d’Honneur quelques années plus tard en 1932.


A l’issue de la guerre, Marcel Communeau retourne à Beauvais où il devient l’associé de son père au sein de l’entreprise de ce dernier Communeau et Cie. Communeau est en effet issu d’une famille d’industriels beauvaisiens, son grand-père Joseph fut le patron de cette grande manufacture de textile située rue de Rouen depuis 1875. 

Trois années après la fin de la Grande Guerre, Marcel Communeau reprendra l’entreprise  à la mort de son père jusqu’en 1930. Au plus fort de la crise économique de l’époque, l’entreprise fusionnera avec la Manufacture française de tapis et de couvertures dont l’un des sites les plus importants est situé à Beauvais.


Communeau s’éteindra une quarantaine d’années plus tard dans sa ville natale, le 26 juin 1971 à 85 ans. 

En 2015, il sera reconnu au niveau mondial en accédant au Hall of Fame de l’IRB (l’International Rugby Board) dans le « temple de la renommée » de World Rugby où sont honorés les joueurs et les institutions ayant contribué à l’histoire du rugby à XV. Il y figure notamment aux côtés de légendes du rugby comme Jonah Lomu ou Serge Blanco.


A Beauvais aujourd'hui, le stade de rugby du Beauvais Rugby Club porte son nom ainsi qu’un tournoi qui réunit des écoles de rugby de la région. Le tournoi universitaire des Ovalies UniLasalle, l’un des grands événements sportifs annuels de la ville de Beauvais se déroule également au stade Marcel Communeau

Son patronyme est depuis de nombreuses années reconnu comme synonyme de ballon ovale dans la ville-préfecture.


Propos de M. Communeau et E. Lesieur, extraits de "Sports, une histoire dans l'Oise", Archives Départementales de l'Oise.